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dimanche 6 septembre 2009

CHEIKH EL HASNAOUI, SLIMANE AZEM ET MATOUB LOUNÈS : A quand la fin de l’exclusion?

Cheikh El Hasnaoui

Bien qu’ils aient été et demeurent les trois plus grands artistes algériens d’expression kabyle, cheikh El Hasnaoui, Slimane Azem et Matoub Lounès sont toujours frappés d’une sorte d’exclusion qui ne dit pas son nom.

Ces derniers mois, et pour la première fois dans l’histoire, le téléspectateur de la Télévision nationale a sans doute remarqué des intrusions et des incursions d’extraits des chansons de ces trois maîtres. Il y a un peu plus de dix jours, à l’occasion d’un reportage réalisé dans le village natal de Slimane Azem, Agouni Gueghrane, ont été diffusés des extraits de ses chansons. L’animatrice l’a même évoqué à maintes reprises lors de l’interview qu’elle réalisait avec son invité.

Une grande première quand on sait que Slimane Azem a été, de tout temps, considéré comme persona non grata dans les cercles des médias lourds. Sur les ondes de la Radio nationale, ce n’est qu’après l’ouverture démocratique et médiatique de 1988 que l’auditeur a pu entendre pour la première fois, sa voix de rossignol. Quant à la télévision, Slimane Azem a continué à en être écarté malgré le fait qu’il soit considéré et reconnu, à juste titre, comme la sommité de la chanson kabyle à texte.

Politique de l’autruche

Slimane Azem n’est pas le seul à faire les frais de cette proscription absurde à une époque où la technologie ôte toute possibilité de censure. Cheikh El Hasnaoui a fait aussi les frais de ces pratiques d’un autre âge. Un maître incontesté du châabi comme lui reste en marge des médias lourds. Personne ne peut contester l’apport de cheikh El Hasnaoui à la chanson algérienne, puisqu’il a chanté aussi bien en kabyle qu’en arabe. Mais il se trouve qu’en dépit du fait qu’il n’ait jamais chanté des chansons politiques, il a été pendant longtemps classé dans l’escarcelle des indésirables.

Il le demeure d’ailleurs à nos jours, n’était-ce le courage de certains réalisateurs qui introduisent sa voix dans des séries télévisées, comme cela fut le cas pendant ce mois de Ramadhan, dans la série Djemaï Family. Cependant, pour qu’on consacre un programme spécial à celui qui a inspiré des artistes de talent comme Matoub Lounès et Kamel Messaoudi, il faudrait encore attendre et encore!

Pourtant, contrairement à Slimane Azem et à Matoub Lounès, cheikh El Hasnaoui ne compte pas dans son oeuvre des chansons politiques qui peuvent «justifier» cette attitude.

Les deux thèmes principaux de Cheikh El Hasnaoui sont l’exil et l’amour. Malgré cette neutralité, le cheikh d’Ihesnawen reste encore loin des antennes, hormis quelques gestes osés que tentent de temps à autre certains producteurs téméraires. Ce sort réservé à Slimane Azem et à El Hasnaoui n’est pas le fruit du hasard. Son origine remonte aux années soixante-dix quand les artistes libres qui ne faisaient pas la courbette au régime en étaient pour leurs frais.

Les exécuteurs des sentences de censure n’étaient autres que des confrères de ces derniers auxquels la jalousie n’était pas étrangère car, en dépit de tout, sur le terrain, El Hasnaoui et Slimane Azem battaient tous les records en matière d’audimat.

Un constat qui faisait rougir de jalousie n’importe quel autre artiste docile préfabriqué par les médias et savamment entretenu par le régime. Il fallait donc freiner ce succès par tous les moyens possibles.

Un secret de polichinelle dans le milieu artistique kabyle: qui ne sait pas que le nom de Slimane Azem avait été ajouté au stylo par un artiste de service qui trouvait anormal que, sur la liste des chanteurs indésirables à la Radio Chaîne II, le nom de l’enfant terrible que fut Azem n’y soit pas inclus? Ceux qui ont pu découvrir Slimane Azem, durant les années soixante-dix et quatre-vingt, ont pu le faire grâce aux disques mais point aux ondes censées promouvoir l’art algérien en toute impartialité. L’injustice dont fut victime Slimane Azem intervenait presque au même moment où il reçut le fameux disque d’Or car ayant battu tous les records en matière de vente de disques. Cette récompense méritée, loin d’attendrir les maîtres censeurs a, au contraire, attisé leur hargne. Slimane reste interdit d’antenne jusqu’à ce que la révolte s’en mêle. Il a fallu les émeutes d’Octobre 1988 et les mesures politiques ayant suivi pour que le voile de l’interdit se lève.

Le rêve brisé

Mais entre-temps, Slimane Azem décède en 1983, sans réaliser son rêve, celui de revisiter la fontaine de son village et les siens. L’exclusion dont fut victime Slimane Azem n’a pas préoccupé outre mesure ceux qui sont censés la dénoncer. Seul Matoub Lounès enrageait de voir son idole à lui, et celle de ses concitoyens être la cible d’injustices.

L’intolérance était à son summum dans un pays qui avait plutôt un besoin pressant de se réconcilier avec soi-même et avec les siens. Matoub Lounès, dès sa première année d’entrée sur la scène artistique, en 1978, s’adresse, dans une chanson-complainte, à Slimane Azem.

Le jeune artiste et néanmoins rebelle invétéré ne mâche pas ses mots. Il trempe déjà sa langue dans les veines de la colère et énonce, comme par prémonition que lui aussi, il sera sur les traces de l’artiste qu’il veut «protéger» aujourd’hui, à sa manière.

La première chanson consacrée par Matoub à Azem s’intitule A âmmi Slimane. Matoub, comme lui seul sait le faire, emprunte sa voix à son aîné pour que ce dernier puisse décrire sa douleur d’exilé, dont on ne veut plus dans son propre pays. Puis, en 1983, suite au décès de Slimane Azem, Matoub fut le seul artiste algérien à lui consacrer une chanson.

Son album est intitulé de façon téméraire Tamsalt n Slimane. Un couplet de la chanson est même censuré en Algérie car Matoub a osé citer nommément l’un des artistes qui faisait l’apologie du système de l’époque. Indocile, impénitent, Matoub a eu le courage qu’aucun autre n’a eu, celui de dire qu’un artiste a le droit d’être libre et être grand, en même temps. Matoub va payer très cher cette témérité puisqu’il eut à subir un sort aussi dur que celui dont fut frappé Azem, avec l’exil en moins mais les balles en plus. Matoub a été donc le troisième artiste d’une aussi grande stature à être exclu de tous les espaces dédiés à l’art.

Mais Matoub n’en avait cure. Sa voix phénoménale, sa façon d’interpréter, unique dans les annales et ses textes révolutionnaires suffisaient amplement pour faire de lui l’artiste le plus populaire que la Kabylie ait connu. Une aura qui est allée grandissante jusqu’au moment où il rendit son dernier souffle et même après. Une seule émission sur lui a été diffusée il y a quatre années par l’Entv dans le cadre du programme Tamurt negh. Mais à aucun moment, l’une de ses chansons n’a été diffusée.

Pourtant, à ce jour, il n’y a pas un chanteur aussi écouté comme Matoub Lounès à travers les quatre coins de la Kabylie et au niveau de l’émigration. Ce décalage entre la réalité et les médias lourds a de tout temps existé. C’est ce qui a creusé et creuse encore davantage le fossé entre la population et les médias. Ce n’est pas fortuit si les citoyens sont de plus en plus portés à se connecter à des chaînes de télévision étrangères, même si ces dernières, non plus, n’offrent pas des programmes qui répondent aux aspirations profondes des citoyens. Mais au moins, avec les chaînes de télés étrangères, la qualité y est.

L’écart qui se creuse entre les médias et les citoyens aurait pu ne pas exister si des tournées sur le terrain et des sondages étaient organisés pour savoir que la majorité des chanteurs qui passent à la télé, ne peuvent pas remplir une salle de classe.

Aomar MOHELLEBI

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